Le 15 janvier 2021 a eu lieu la deuxième journée internationale de la médiation professionnelle. Durant cette conférence principalement consacrée à la nouvelle réforme du divorce, entrée en vigueur au 1er janvier 2021, des professionnels de la médiation, des juges et des avocats ont échangé autour du rôle crucial des médiateurs dans le cadre d’un divorce conflictuel. Entre méconnaissance et nouveau paradigme, ces acteurs du monde judiciaire alertent sur l’importance de la dynamique émotionnelle, avant tout aspect juridique.
La qualité voire l’expertise relationnelle est devenue un enjeu majeur dans l’évolution des métiers et, en particulier, au sein des tribunaux. La nouvelle réforme du divorce s’inscrit dans une logique de généralisation de la médiation, vers une liberté de décision pour les couples. Son but est d’apaiser voire régler les conflits avant même d’entamer une procédure de divorce. Une réflexion menée depuis plusieurs années par l’École Professionnelle de la Médiation et de la Négociation (EPMN), formant de futurs médiateurs professionnels et qui travaille pour une meilleure prise en compte des champs émotionnels et relationnels lors d’un divorce.
Sommaire
Qui sont les médiateurs professionnels ? Des agents, des négociateurs, des conciliateurs ?
Point de vue des particuliers sur la médiation
“Le métier en lui-même, je ne savais pas qu’il existait“ témoigne un jeune homme lors d’un micro-trottoir. “C’est quelqu’un qui règle les conflits, un peu comme les forces de l’ordre, mais il faut sans doute plus d’études pour être négociateur dans la police “ raconte un autre. “Les médiateurs c’est juste ceux qui règlent des petits conflits qu’on peut trouver dans la rue“ déclare encore un autre.
Si la médiation a significativement évolué depuis plus de 10 ans, sa définition reste, en revanche, encore abstraite pour le public. Certains parlent « d’agents publics », d’autres de « médiateurs des quartiers sensibles ». Et puis, il y a cet homme, inspiré, qui dresse un portrait édifiant de notre société et du lien social qui se délite, « la médiation, c’est créer une harmonie entre des gens qui ne se parlent plus. À l’ère d’internet, les gens ne savent plus comment se parler, moi le premier. On a du mal à s’arrêter et à répondre aux autres. C’est dommage, car c’est un besoin primordial. Et c’est en partie, de là, que vient la violence, la frustration. Finalement, il n’y a plus de contact humain, même au travail, on a une telle pression. »
Point de vue des médiateurs professionnels
Pourtant, depuis 2003 et la création de l’EPMN, la médiation est devenue un métier voire une expertise.
Pour Agnès Tavel, avocate et médiatrice professionnelle, « les personnes ne savent pas encore qu’un médiateur professionnel peut intervenir sur tout type de relation dégradée, qu’il s’agisse de la famille, du travail ou du voisinage.“ En effet, même si un conflit, une histoire est unique, il y a des éléments que l’on retrouve systématiquement, quelle que soit la nature de la relation. “ Le médiateur peut donc intervenir, grâce à un savoir-être, une technicité et une expertise,“ ajoute-t-elle.
Pour la médiatrice professionnelle Edith Delbreil, le médiateur est un « pédagogue » qui doit “enseigner ou du moins insuffler des principes de qualité relationnelle ». Une dimension pédagogique que souligne la directrice de l’EPMN-CPMN Aïcha Sangaré, « les médiateurs accompagnent les couples dans la réflexion, mais ils sont libres de décider. Comme ce sont les personnes qui règlent eux-mêmes leurs conflits, cela participe à l’entente sur le long terme ». Elle défend également l’importance d’un changement de paradigme autour de la médiation et, notamment, d’une meilleure prise en compte de la dynamique relationnelle, “nous n’avons pas appris à être en relation et il se trouve que la médiation à commencer à se développer sans la place de l’humain“.
L’humain a donc toute son importance dans la médiation et s’intègre parfaitement, selon ces professionnels, à la nouvelle réforme du divorce. Mais le médiateur se doit de rester neutre et de n’imposer aucune solution à ses clients.
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La nouvelle réforme du divorce : vers une généralisation de la médiation professionnelle ?
La nouvelle réforme du divorce : une jonction entre le droit et l’humain
« Les réformes successives tendent à faire une place de choix voire de droit à la médiation » déclare Emmanuelle Laurent, avocate au bâtonnier de Paris et médiatrice professionnelle. Ses propos découlent, en partie, de la nouvelle réforme du divorce, guidée par un objectif premier de réduction budgétaire, en incitant les couples à se tourner vers la médiation. Cela évite les passages devant le juge et les procédures exhaustives. Le second objectif étant d’humaniser le divorce jusque-là très aliénant, comme le souligne Meriem Berrada, avocate à la cour de Casablanca, «ce qui m’a intéressée avec la réforme en France, c’est cette jonction entre le droit et la psychologie. Et donc, cette jonction entre le droit et la médiation.»
Selon elle, c’est essentiel en droit de la famille. Elle ajoute que, «cette séparation ne peut pas avoir lieu sans médiation, car les personnes sont, en général, dans une subjectivité et une émotion tellement forte que la raison fait défaut, ainsi que les intérêts des enfants qui doivent primer sur le reste. La médiation permet de sortir d’une subjectivité irrationnelle pour aller plutôt vers une objectivité raisonnable. « Ses propos sont d’ailleurs corroborés par Jean-Louis Lascoux, le fondateur de la médiation professionnelle, « lorsque les conflits sont forts, il faut quelqu’un pour nous aider à rationaliser notre pensée. Ces tiers doivent aider les personnes à revenir sur les fondamentaux de la relation, ce qui l’a créé mais aussi ce qui l’a dégradé». Pour ce fondateur de la médiation professionnelle, les champs relationnels et émotionnels doivent être obligatoirement réglés avant tout aspect juridique lié au divorce, quitte à imposer une médiation pour les couples en conflit.
Mais cette jonction entre le droit et l’humain induit un changement radical avec la « stigmatisation » et la « culpabilisation » des personnes fautives, qui était systématique dans les années 1980, comme nous l’explique Maître Pascale Girma, également médiatrice professionnelle, élue au Conseil nationale des barreaux (CNB), et qui comptabilise plus de 35 ans d’expérience au barreau de Carpentras depuis 1984. Malgré l’instauration du consentement mutuel sous Valéry Giscard d’Estaing en 1975, les moyens de dissuasion restaient nombreux et le divorce, une épreuve pour la famille. Un divorce pour altération du lien conjugal nécessitait une séparation depuis « plus de six ans ».
Cette réforme est donc une opportunité de découvrir un nouveau visage de la justice, en permettant au justiciable de retrouver une place de choix : il n’est plus passif, ne subit plus les décisions du juge et devient le principal acteur, accompagné de son avocat et du médiateur. Pour ces professionnels, c’est aussi le rôle de l’avocat de présenter positivement le processus de médiation à son client.
Avocat et médiateur professionnelle : une complémentarité
« Je me suis rendue compte que je ne disposais pas de tous les outils pour gérer le côté émotionnel du conflit » confie Anne Gaëlle Wolfe, avocate et médiatrice professionnelle. Placé au cœur de la réforme, l’avocat est incité à se former à la médiation professionnelle, pour simplifier le travail du juge aux affaires familiales. C’est aussi l’opportunité pour lui de se remettre en question sur ses fonctions et la manière dont il exerce son travail. Désormais, cette double casquette permet à Anne Gaëlle Wolfe de comprendre la dynamique relationnelle qui se joue au moment d’un divorce. Une prise en compte primordiale pour la directrice de l’EPMN-CPMN, Aïcha Sangaré, “avant même de valoriser ses compétences techniques, en tant que médiateur, l’avocat est en relation avec ses clients ». Mais cette nouvelle expertise ne doit pas déroger au secret professionnel de l’avocat qui ne peut pas pratiquer ces deux métiers à la fois. « Sois j’interviens en tant qu’avocat, soit j’interviens en tant que médiateur » précise Anne Gaelle Wolfe.
La médiation professionnelle et la responsabilité des parents
« Nous devons avoir des pratiques concrètes, efficaces qui permettent de repositionner les parents avec une notion de responsabilité “ appuie Aïcha Sangaré. Pour cette directrice, le bilan de la médiation familiale développée depuis 2003 n’est pas suffisant et nécessite “des modifications d’un point de vue juridique». Selon cette médiatrice professionnelle, il est nécessaire de donner “des outils aux parents“ afin qu’ils comprennent “leur responsabilité“ et l’importance de régler les conflits pour leurs enfants, car même si “le lien conjugal s’arrête, le lien parental, lui, continue“. Maître Monmougui, avocat au barreau de Bordeaux, va encore plus loin. Pour cet avocat de profession, qui définit la médiation comme “une solution de pacification des relations sociales qui permet d’aller au-delà de l’entre-soi pour comprendre ce que reproche et pense l’autre », celle-ci gagnerait à être enseignée dans les écoles. Un pas en avant, pour apprendre dès le plus jeune âge à dépasser son égo et à mieux gérer les conflits dans n’importe quel secteur d’activité ou moment de vie.
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Les juges des enfants et leur rapport à la médiation
“Parfois, nous plaçons l’enfant dans un autre milieu pour tenter de l’éloigner de ces influences et aliénations“, raconte François Stravensky, juge des enfants à Saint-Pierre de la Réunion. Pour ce juge confronté quotidiennement à des situations particulièrement difficiles, liées aux carences ou à la délinquance des enfants, le placement de l’enfant est la solution la plus courante. « Soit l’enfant fait une déclaration spontanée, soit le juge lui pose des questions», explique-t-il. Le juge François Stravensky reconnaît l’enjeu de la médiation professionnelle face à la violence d’un placement et à l’éloignement du cocon familial.
Cette méconnaissance de la médiation détonne avec la conviction de l’ancien juge des enfants, Antonio Fulleda. Selon lui, la médiation est “ une absolue nécessité ” pour la protection de l’enfant. Mais il explique que ce processus est loin d’être abouti, car de nombreux juges n’en sont pas encore “persuadés“. Antonio Fulleda se déclare en faveur d’une “systématisation de la médiation familiale“ et estime que 25% des dossiers envoyés en médiation se terminent par des accords.
Ainsi, même si l’on pourrait penser que les juges des enfants ne sont pas concernés par la réforme du divorce en raison d’un manque de compétences pour gérer ces problématiques conflictuelles, trouver les meilleures solutions pour protéger les enfants constitue pourtant le cœur de leur métier. Et pour les professionnels du monde juridique, la médiation en fait partie, en particulier, pour ne plus traumatiser les enfants par un passage devant le juge et les libérer de l’aliénation parentale.
La médiation professionnelle : une solution pour la protection des enfants ?
« Il y a une espèce de manipulation qui consiste à discréditer l’autre parent vis-à-vis des enfants. Ce sont des situations que l’on rencontre fréquemment » explique le juge François Stravensky, en évoquant le syndrome d’aliénation parentale. Ce syndrome, qui concerne environ 10 % des enfants de parents séparés, consiste pour un enfant influencé par l’un de ses parents à rejeter et dénigrer son autre parent. Le conflit parental peut en effet entraîner des conséquences importantes voire une dégradation du lien enfant/parent.
Pour Aïcha Sangaré, le mal-être de l’enfant est principalement lié à la relation conflictuelle qu’entretiennent les parents, “ Dans le cadre du conflit, il y a toujours le parent qui voudrait être suffisamment entendu, avoir la légitimité et dénigrer l’autre parent. En général, on retrouve les mêmes mécanismes. Et il vaudrait mieux l’anticiper aujourd’hui.” Elle poursuit, “ on est purement sur un champ émotionnel lorsqu’on parle de la famille en justice, et nous n’apportons pas de solutions sur ces problématiques, dès le départ“. Des propos soutenus par le médiateur professionnel, Jérôme Messinguiral, “si les parents vivent bien leur séparation, l’enfant va trouver une place agréable entre les deux. C’est bien un problème de qualité des relations et de conflits entre les parents qui va impacter les enfants. Si on accompagne les parents dès le départ, cette situation pour les enfants sera réglée.»
Ainsi, durant cette journée, des médiateurs, des avocats, mais aussi des juges ont pu s’exprimer et défendre avec vigueur l’importance de la médiation pour les couples en procédure de divorce. Mais si pour certains, la médiation ne doit pas être imposée, car elle est une solution proposée aux couples, pour d’autres, en revanche, elle devrait être obligatoire en cas de conflit au nom de la préservation de l’équilibre familial et du bien-être de l’enfant. “Au revoir le conflit de loyauté, l’aliénation parentale, bonjour la qualité relationnelle », scande le professionnel Jérôme Messinguiral.